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Articles

Les articles que je vais évoquer ici concernent des papiers de recherche. Durant mes études, j’ai eu l’occasion d’en lire… beaucoup. Certains m’ont marqué au point d’y passer des jours entiers, à essayer de les comprendre, à décortiquer chaque équation, chaque démonstration, chaque raisonnement.

Lire un article scientifique, ce n’est pas juste absorber une information. Il y en a qui m’ont frustré, d’autres qui m’ont émerveillé, mais tous m’ont apporté quelque chose, que ce soit une nouvelle manière de voir un problème, une intuition plus profonde sur un concept, ou simplement une meilleure compréhension du sujet.

Ici, je vais partager quelques-uns de ces articles qui m’ont particulièrement marqué. Ceux qui m’ont fait cogiter pendant des heures, qui ont changé ma façon de penser un problème, ou qui m’ont ouvert de nouvelles perspectives sur des sujets passionnants.

Black, F., & Scholes, M. (1973).


 Publié en 1973 par Fischer Black et Myron Scholes, ce papier a littéralement changé la manière dont on valorise les options. Ce n’est pas juste une avancée théorique, c’est une révolution qui a transformé la finance moderne et qui reste aujourd’hui au cœur des marchés dérivés.

L’idée principale repose sur un concept fondamental en finance : l’absence d’arbitrage. Black et Scholes démontrent qu’en combinant dynamiquement une option et son actif sous-jacent, on peut construire un portefeuille sans risque, ce qui permet d’en déduire une formule mathématique pour calculer la valeur théorique d’une option. Leur approche repose sur le mouvement brownien et le calcul stochastique, avec une équation différentielle qui décrit l’évolution du prix de l’option en fonction du temps et de la volatilité du sous-jacent. Ce qui est fascinant, c’est que leur raisonnement permet d’éliminer toute estimation subjective du risque en se basant uniquement sur des paramètres observables sur le marché.

Avant Black et Scholes, la valorisation des options était plus intuitive qu’autre chose, basée sur des règles empiriques sans véritable cadre théorique. Avec leur modèle, ils ont non seulement permis aux traders de valoriser les options de manière rigoureuse, mais ils ont aussi ouvert la voie à une explosion des marchés dérivés et au développement de toute une industrie autour de la gestion des risques et de l’ingénierie financière. Leur travail est tellement fondamental que les prix des options sont encore aujourd’hui calculés avec des variantes de leur formule.

En termes de difficulté, je lui mets un bon 9/10. C’est un papier dense, avec des concepts mathématiques avancés, notamment en probabilités et en processus stochastiques.


Miller, M.H., & Modigliani, F. (1961).


  Ce papier, c’est un classique absolu en finance, du genre de ceux qui ne vieillissent pas et qui ont posé les bases de la recherche moderne. À première vue, leur conclusion peut sembler provocante : la politique de dividendes n’a aucun impact sur la valeur de l’entreprise dans un marché parfait. Mais une fois qu’on se plonge dedans, on réalise que c’est une démonstration d’une logique implacable, qui déconstruit l’intuition traditionnelle selon laquelle verser des dividendes est forcément une bonne chose pour les actionnaires.

L’argument central repose sur une idée simple mais puissante : les investisseurs n’ont pas besoin que l’entreprise leur verse des dividendes pour obtenir du cash. S’ils veulent des liquidités, ils peuvent vendre une partie de leurs actions ; s’ils veulent réinvestir, ils peuvent acheter plus d’actions. Dans un marché parfait, sans impôts, sans coûts de transaction et où tout le monde a accès à la même information, le mode de distribution des profits n’a pas d’effet sur la valeur de l’entreprise. Autrement dit, ce qui compte, c’est la rentabilité des investissements réalisés avec ces profits, pas la façon dont ils sont distribués.

Ce qui rend ce papier historique, c’est qu’il a changé la façon dont on pense la finance d’entreprise. Avant Miller et Modigliani, beaucoup considéraient que les dividendes étaient essentiels pour attirer les investisseurs et prouver la solidité d’une entreprise. Leur modèle a obligé les chercheurs et les praticiens à repenser cette idée : plutôt que de se focaliser sur les dividendes, il faut regarder la structure du capital et la rentabilité des investissements. Ce raisonnement a ouvert la voie à des décennies de débats sur l’impact réel des dividendes, avec des études qui ont introduit des facteurs plus réalistes comme la fiscalité, les imperfections de marché ou les asymétries d’information.

En termes de difficulté, je lui mets un bon 8/10. Ce n’est pas un article qu’on lit en diagonale. Il y a pas mal de formalisme mathématique, et les démonstrations demandent une vraie rigueur pour être bien comprises. Mais une fois qu’on a saisi la logique sous-jacente, ça devient limpide et ça change complètement la façon de voir la finance d’entreprise.


Riedl, A., & Smeets, P. (2017).


 Les auteurs proposent une approche qui va bien au-delà des explications classiques sur la finance durable. Au lieu de simplement supposer que ces investisseurs recherchent un rendement financier ajusté aux critères ESG, ils cherchent à comprendre si ces décisions sont purement rationnelles ou influencées par des facteurs plus psychologiques et sociaux.

Ce qui rend cette étude particulièrement intéressante, c’est la diversité des méthodes employées. Plutôt que de se limiter à une analyse empirique traditionnelle, les auteurs combinent des données sur les portefeuilles d’investisseurs, des enquêtes sur leurs préférences et même des expériences économiques incitées. Cette approche leur permet d’aller au-delà des déclarations d’intention et d’observer comment les individus réagissent dans un contexte où leurs choix financiers ont des conséquences concrètes.

Le résultat principal de leur recherche est clair : les investisseurs en SRI ne cherchent pas uniquement à maximiser leur profit. Beaucoup acceptent des frais plus élevés et des rendements potentiellement inférieurs, non pas parce qu’ils pensent que ces investissements seront plus performants à long terme, mais parce qu’ils valorisent d’autres aspects, comme l’impact environnemental ou social de leurs placements.

L’un des points les plus fascinants de cette étude, c’est la distinction qu’elle fait entre deux types d’investisseurs SRI :

  • Les "engagés", qui investissent dans ces fonds par conviction personnelle, indépendamment des performances attendues. Pour eux, l’alignement entre leur portefeuille et leurs valeurs est une priorité.
  • Les "stratèges sociaux", qui voient l’investissement responsable comme un moyen d’améliorer leur image ou de se conformer à des normes sociales. Leur engagement est souvent plus opportuniste et dépendant du regard des autres.

Ce qui fait la force de cet article, c’est qu’il remet en cause l’hypothèse de rationalité totale en finance. Il démontre que l’investissement socialement responsable est aussi une question de psychologie et de perception, et pas uniquement de rendement ajusté au risque. Il ouvre la voie à une nouvelle manière d’analyser la finance durable, en prenant en compte les motivations non financières qui influencent les décisions des investisseurs.

En termes de difficulté, je lui mets un 7/10. L’étude est bien construite et accessible, mais elle demande une bonne compréhension de la finance comportementale et des méthodes expérimentales. Ce que j’ai trouvé particulièrement marquant, c’est sa capacité à transformer des intuitions souvent exprimées en données mesurables et rigoureuses, ce qui permet de mieux comprendre pourquoi les investisseurs font réellement le choix des fonds SRI.


Schrimpf, A., Sarno, L., Menkhoff, L., & Schmeling, M. (2012).


 Ce papier s'attaque à l’un des paradoxes majeurs du forex : comment une stratégie aussi simple que le carry trade peut générer des rendements élevés, alors qu’elle semble violer l’hypothèse d’efficience des marchés ?

Le carry trade, c’est une stratégie ultra-populaire en trading de devises : on emprunte dans une monnaie à faible taux d’intérêt (par exemple le yen) pour investir dans une monnaie à taux plus élevé (comme le dollar australien). Sur le papier, c’est presque de l’argent gratuit, sauf que cette stratégie expose à un risque majeur : les périodes de forte volatilité où les investisseurs fuient le risque et où ces positions peuvent s’effondrer.

L’apport clé de cet article, c’est de montrer que la prime de risque du carry trade est directement liée à la volatilité globale du marché des changes. Quand la volatilité est basse, les traders prennent des positions agressives et les rendements du carry trade sont élevés. Mais quand la volatilité explose – souvent en période de stress financier – ces stratégies peuvent subir des pertes massives, car les capitaux fuient les devises à haut rendement pour se réfugier dans les valeurs sûres comme le yen ou le franc suisse.

Ce qui rend ce papier historique, c’est qu’il permet de mieux comprendre pourquoi le carry trade fonctionne sur le long terme, malgré ses risques. Il ne s’agit pas seulement d’un arbitrage simple entre taux d’intérêt, mais d’une compensation pour le risque encouru en période de crise. Cette vision a profondément influencé la façon dont les investisseurs institutionnels et les hedge funds gèrent leurs expositions en devises, en intégrant des mesures de volatilité comme variable clé pour ajuster leurs positions.

En termes de difficulté, je lui mets un bon 8/10. L’article est dense, avec des modèles économétriques avancés et des analyses empiriques poussées sur des décennies de données forex. Il demande une bonne compréhension des marchés de changes et des primes de risque, mais une fois qu’on en maîtrise les idées principales, il offre un cadre analytique puissant pour comprendre l’une des stratégies les plus utilisées en finance internationale.


Tufano, P. (1996).


 L’étude se focalise sur les compagnies aurifères nord-américaines, un terrain parfait pour observer la gestion des risques, puisque ces entreprises sont directement exposées aux fluctuations des prix de l’or. Tufano examine les stratégies utilisées pour se protéger, que ce soit via les contrats à terme, les swaps, les options ou les emprunts indexés sur l’or. Ce qui rend son approche intéressante, c’est qu’il ne se contente pas de voir si ces entreprises couvrent ou non leur risque : il cherche à comprendre qui, au sein des entreprises, prend ces décisions et pourquoi.

L’un des résultats majeurs de l’article, et ce qui le rend si marquant, c’est la démonstration que la gestion des risques dépend largement des incitations des dirigeants.

  • Les dirigeants qui détiennent beaucoup d’actions de leur entreprise sont plus enclins à couvrir le risque pour protéger leur propre patrimoine.
  • À l’inverse, ceux qui possèdent des stock-options sont moins enclins à se couvrir, car ils bénéficient davantage d’une volatilité élevée qui peut faire exploser la valeur de leurs options.

Ce papier est clé parce qu’il bouscule l’idée que la couverture des risques est uniquement une question d’optimisation rationnelle. Il met en lumière les influences comportementales et les conflits d’intérêts dans les décisions financières, et il a ouvert la voie à de nombreuses recherches sur l’impact des incitations managériales sur la gestion du risque.

En termes de difficulté, je lui mets un 7/10. Ce n’est pas un article bourré de mathématiques complexes, mais il demande une bonne compréhension des mécanismes de couverture et de l’impact des structures de rémunération des dirigeants. Ce qui est passionnant, c’est que ça donne une vision bien plus réaliste de la finance d’entreprise, loin des modèles parfaits où les décisions seraient toujours rationnelles et optimales.